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Le tirage au sort

 [En construction]

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Faire un sort au tirage au sort ?

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Cet été, la presse a largement relayé les déboires des bacheliers restés sans affectation, les quatre filières les plus touchées, mais non les seules, étant Droit, Psychologie, STAPS et PACES [1]. Fin juillet, 65000 d’entre eux étaient toujours en attente, ils étaient encore un peu plus de 6000 à la mi-août. Entretemps 48 000 avaient reçu une réponse positive et 1100s’étaient inscrits dans le privé ou avaient pris une année blanche. Le logiciel APB a été très largement tenu pour responsable de cette situation. L’admission est déterminée électroniquement, le logiciel prenant en compte le premier vœu formulé par le candidat, mais aussi sa domiciliation, ses revenus, sa situation familiale, ses autres vœux. Loin d’être déterminante, la vocation devient un critère parmi d’autres .Or si les imperfections et dysfonctionnements d’APB sont réels, les causes de ces difficultés, qui ne sont pas nouvelles, mais qui n’ont jamais encore revêtu une telle ampleur, sont plus profondes et complexes.

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Du problème discret à la plaie ouverte

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En premier lieu il y a l’évolution démographique générale : depuis trois ans, on compte entre 30 000 et 40 000 étudiants supplémentaires par an, et cette augmentation devrait durer encore plusieurs années. Au poids de la natalité s’ajoutent le nombre de reçus au bac pro qui souhaitent intégrer les filières générales, et les réorientations. L’Université, dont les moyens en locaux, personnels et finances n’augmentent pas en conséquence, en est réduite à gérer une pénurie qui ne cesse de s’aggraver, et dont les prémisses remontent à 2007, avec une autonomie des universités basée sur une dotation insuffisante et un manque d’anticipation de la part de l’Etat couplée à une gestion parfois hasardeuse au sein des établissements. Le baccalauréat n’étant pas le dernier diplôme du secondaire, mais le premier du supérieur, l’Université a l’obligation légale d’accueillir tous les bacheliers, le code de l’éducation stipulant que Le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat. De surcroît, toute forme de sélection lui est interdite (que l’on se souvienne des problèmes rencontrés il y a deux ans par les tentatives de sélection entre M1 et M2), on recourt donc au tirage au sort. Le sort du futur étudiant n’est plus déterminé par ses goûts et ses intérêts, ses notes ou sa mention au baccalauréat, mais par l’arbitraire qui efface toute responsabilité, avec sa cohorte d’injustices, d’amertumes, de vocations gâchées. Le tirage au sort est pratiqué depuis plusieurs années, mais tout se passait dans la discrétion car le nombre de bacheliers concernés était loin d’atteindre les chiffres de cette année. Aussi absurde et injuste qu’il soit, il est inscrit dans la loi.

A la fin du quinquennat précédent, Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Education nationale, a fait publier le 27 Avril 2017 une circulaire sur les procédures d’admission à l’université, véritable flèche du Parthe décochée à son successeur et au nouveau gouvernement, qui répertorie les critères déterminant la répartition des étudiants (proximité avec l’université demandée, domiciliation, choix exprimés, situation familiale…) et se termine en ces termes : Si à l’issue du classement établi par application des critères mentionnés ci-dessus, il est nécessaire, compte tenu de la capacité d’accueil dans la formation de l’établissement considéré, d’arrêter un choix entre des candidats ayant un même ordre de priorité, il est recouru à un tirage au sort entre ceux-ci.

Le Conseil d’Etat a été saisi par deux organismes, Promotion et défense des étudiants et SOS Education, mais il temporisé  et le 2 juin 2017, a refusé de suspendre le texte, arguant que Il n’est pas établi que la suspension de la circulaire, à quelques jours du début de la procédure d’attribution des places aux candidats, […] permettrait de garantir que chaque candidat puisse être inscrit dans l’établissement et la filière universitaire de son choix. Il n’y a donc pas urgence à statuer. L'autre requête déposée devant le Conseil d'Etat, qui portera cette fois-ci sur la légalité du texte, devrait être examinée "dans les prochains mois, précise le communiqué de presse.

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Frédérique Vidal et la concertation

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, qui s’est déclarée dès sa nomination opposée au tirage au sort, [2]  a annoncé que la session APB 2017 devrait être la dernière utilisant ce procédé. Pour pallier l’engorgement à l’entrée en première année, elle avait d’abord parlé de « prérequis », c’est-à-dire de connaissances minimales exigées pour entrer dans une filière donnée,  avant de se rabattre sur des formulations plus vagues : la « lutte contre l’échec à ‘Université », les « parcours réussite », des « initiatives locales qui fonctionnent », tout en insistant sur la nécessité de donner la priorité à l’orientation.[3]

Une concertation réunissant syndicats d’étudiants, CPU, associations de parents d’élèves, s’est ouverte le 17 juillet et se poursuivra jusqu’en automne. Les participants doivent rendre leurs conclusions en octobre afin que la plateforme APB soit restructurée pour janvier prochain, lorsque commenceront les premières inscriptions pour la rentrée 2018. Le but est d’intégrer les bacheliers qui désirent entrer à l’université, tout en évitant les 60% d’échec à la licence en trois, voire quatre ans, qui sont la norme aujourd’hui. Dans cette perspective il s’agit d’établir un contrat de réussite étudiant tout en mettant fin à l’injustice du tirage au sort. Les discussions s’articulent essentiellement autour de l’orientation et des prérequis (qui figuraient dans le programme du candidat Macron).

Une orientation adéquate, faisant le lien entre le lycée et la faculté, devrait permettre au lycéen de s’engager en toute connaissance de cause et d’éviter des choix hasardeux ou voués d’emblée à l’échec. Les prérequis impliquent que le futur étudiant doit être en mesure d’assimiler l’enseignement qu’il recevra. S’il apparaît que ce ne sera pas le cas, on doit l’aider à recevoir les bases nécessaires. Les moyens ne sont pas définis avec précision pour l’instant, chaque université aurait toute latitude pour agir, la seule condition étant de réussir. Seraient ainsi envisagés une année de mise à niveau, de type ‘propédeutique’, ou bien encore une licence en quatre ans. C’est essentiellement la CPU qui insiste sur les prérequis, tout en se défendant de vouloir instaurer une sélection : L’idée serait que l'Etat fixe des objectifs aux établissements - accueillir un nombre donné d'étudiants ou des jeunes de tel territoire, par exemple - et leur laisse une liberté d'expérimentation, évaluée à l'issue de celle-ci, indiquait son président, Gilles Roussel, il y a quelques semaines dans les colonnes des Echos. Or les syndicats étudiants (UNEF et FAGE en tête) se montrent très réticents devant ce qu’ils voient comme une forme de sélection déguisée. En contrepartie de leur accord éventuel, le gouvernement a prévu pour eux un plan destiné à améliorer la vie étudiante comportant notamment des mesures sur le logement (construction de 60 000 logements étudiants, possibilité que le gouvernement se porte caution pour la location, plafonnement des loyers du CROUS) et la santé (affiliation des étudiants au régime général de la Sécurité sociale.

Cependant ces réformes seront coûteuses et les signaux financiers envoyés jusqu’à présent ont été négatifs ou ambigus. Il y a eu d’abord l’annulation de 331millions d’euros de crédit sur le budget de l’ESR, puis la diminution de 5 euros de l’APL, qui a eu un effet psychologique désastreux sur les étudiants tandis que le président de la République affirmait qu’aucun ministère, sauf celui des Armées, n’aurait d’augmentation budgétaire. Or le 27 Août, Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Education nationale, a fait état d’une augmentation pour le budget 2018 de son ministère, sans préciser à combien elle se monterait. Le Ministère de la Justice aurait également reçu des moyens supplémentaires[4]. Cette valse-hésitation à un moment où les finances publiques sont au plus bas, ne contribue guère à créer un climat de confiance. Rappelons au passage que, pour l’instant du moins, il n’a pas été fait mention de moyens supplémentaires pour aider les universités à gérer l’afflux des nouveaux arrivants. [5] La ministre a simplement déclaré que l’on pourrait dédoubler les amphis.

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Derrière les arbres, la forêt

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Or la ‘lutte contre l’échec à l’université’, l’accompagnement de la réussite’, le ‘parcours de réussite’ sont des idées qui existent depuis Valérie Pécresse. Il en va de même pour l’orientation avec la création du continuum Bac-3/+3, qui remonte à 2013[6]. Il est inexact de dire que les futurs bacheliers choisissent une filière universitaire au petit bonheur, ils choisissent celles qui semblent offrir encore des débouchés professionnels, et elles sont rares, de là l’engorgement en STAPS/Droit/Psychologie/PACES. Bien entendu, cela ne signifie pas, qu’ils sont au courant des contraintes qui les attendent et des efforts à faire, encore moins qu’ils ont les aptitudes nécessaires, mais il serait vain de compter sur l’orientation pré-baccalauréat pour résoudre tous les problèmes, notamment celui du faible niveau des bacheliers. En caricaturant à peine, on  pourrait en tirer la conclusion, qu’une orientation parfaitement réussie est celle qui encourage les lycéens à se concentrer sur les matières qui leur seront utiles deux ou trois ans plus tard -à quand les fameux ‘tripods’ à l’anglaise ?- en oubliant que le lycée français se base sur la transmission d’une culture générale. Adapter étroitement les élèves à la préparation qu’ils envisagent ferait d’eux des spécialistes coulés trop jeunes dans un moule-carcan, des exécutants dociles, hautement qualifiées et aisés à remplacer vu l’importance des cohortes de cette génération. C’est oublier que nombre de jeunes exerceront durant leur vie active des métiers qui n’existent pas encore aujourd’hui. C’est ignorer que le marché du travail tel qu’il se dessine pour les années à venir ne créera pas d’emplois de masse, même pour les diplômés, surtout si la dévalorisation du baccalauréat entraîne progressivement celle de la licence, puis du Master, sans parler du doctorat revu et corrigé l’année dernière.

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Le problème est infiniment complexe et concerne autant l’Université que l’évolution de la société, dont l’Université est partie prenante, mais qu’elle ne saurait réguler ni même influencer. D’un côté, il y a l’angoisse d’une jeunesse qui sait que son insertion sur le marché du travail sera incertain et difficile et se rabat sur des études longues ou relativement longues, non seulement dans l’espoir de décrocher un diplôme valorisé mais aussi de retarder l’échéance redoutée et de s’assurer les moyens de survivre (une bourse et la sécurité sociale). De l’autre, il y a le décrochage endémique qui ponctionne l’argent public sans rien apporter aux décrocheurs. A cela s’ajoute le fait que l’économie française devient de plus en plus tertiaire, mais les secteurs qui recrutent concernent soit des niches d’emploi à haute valeur ajoutée, soit à l’autre extrémité de l’échelle l’hôtellerie, les services à la personne, des emplois difficiles, peu prisés et n’ayant aucun rapport avec une formation universitaire. Et que dire de la misère de l’apprentissage. Nous sommes très loin des 500 000 apprentis promis lors du quinquennat précédent alors que nous avons un besoin urgent d’artisans qualifiés. Peut-être faudrait-il mettre l’accent sur une orientation beaucoup plus précoce, à la fin du collège, car le baccalauréat général n’est plus le sésame qu’il a été pendant près de deux siècles. Veillons à ce que les études universitaires ne deviennent pas un miroir aux alouettes.

 



[1] Respectivement : Sciences et techniques des activités physiques et sportives et Première année commune aux études de santé

[2] Lors de la passation de pouvoir avec Thierry Mandon, Frédérique Vidal avait déclaré qu’une “expérimentation” pouvait être envisagée. Envoyer des étudiants à l'université sans avoir vérifié s'ils sont en capacité de réussir, c'est les mettre dans une situation d'échec. On va changer de logique et sortir de l'échec pour aller vers l'accompagnement de la réussite.

[3] Voir Le Parisien du 15 juin 2017.

[4] Le 8 septembre, la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet a annoncé sur RTL une hausse de 3,8% de son budget.

[5] La cour des Comptes a pointé que quinze universités étaient en difficulté financière, dont six gravement.

[6]  Loi du 22 Juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur. Le cadre du continuum Bac-3/Bac+3 est précisé par la circulaire n° 2013-0012  du 18 Juin 2013 qui « a pour objet de présenter les modalités de collaboration de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur dans la construction du continuum de formation articulant les trois années qui précèdent et les trois années qui suivent le baccalauréat ».

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Anne-Marie Baranowski. (Bulletin 160)


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