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Vie des sections

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Le 28 mai 2013 [En construction]

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Toutes nos félicitations à notre collègue Elyette Benjamin-labarthe, professeur d'Etudes Américaines (C.E.) à l'université de Bordeaux-Montaigne, qui a été promue Chevalier dans l'ordre de la Légion d'Honneur. Son engagement au sein du Syndicat des Lettres a toujours été et continue d'être sans faille. Nous nous réjouissons avec elle et ceux qui lui sont chers. 

Nous reproduisons ici le discours qu'elle a prononcé lors de la réception.

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Discours de réception dans l’Ordre de la Légion d’Honneur

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Je souhaite ici remercier Jean Pierre Poussou, recteur de l’Académie de Bordeaux et par deux fois président de la Sorbonne Paris IV, car il m’a fait l’honneur d’accepter ce parrainage dans la Légion d’Honneur.

C’est au professeur Patrice Brun, précédemment président de l’université Bordeaux 3, activiste de tradition syndicaliste, dévoué à la communauté, à qui je dois d’avoir été proposée au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche au titre de notre établissement. Patrice, veuillez ici recevoir mes sincères et humbles remerciements.

Je tiens à remercier également le président actuel de notre université, le professeur Jean Paul Jourdan, anciennement vice-président de notre université, consulté sur ce choix et prêteur du lieu élégamment agencé en vue de cette petite cérémonie.

Il me tient à cœur de remercier également le professeur Singaravélou, ancien président de Bordeaux 3, dont l’aide m’a été précieuse quand il s’est agi de venir rejoindre l’université Michel de Montaigne après vingt-cinq and passés à l’université de sciences sociales et juridiques Montesquieu Bordeaux IV, un établissement dont je garde en mémoire les amis fidèles présents ici, Josette Rico et Eric Dubesset, ainsi que les présidents et vice présidents toujours si bienveillants à mon égard, les Ps Dimitri Lavroff, Marc Penouil, Henri Bourguinat, Jean-Claude Gautron, Pierre Delfaud, Gérard Hirigoyen, comme les directeurs de centres de recherches qui m’ont accueillie après que j’ai quitté le lycée de Gravelines. Les professeurs de science politique Jean-Louis Seurin et Jean-Louis Martres, deux modèles dont je me suis efforcée, au fil des années, de rester une émule, y ont pleinement accepté de former l’autodidacte que j’étais alors.

Rien cependant n’aurait pu être accompli sans ma famille, ancienne et renouvelée. Le soutien de mes parents aimants Jean et Suzanne, personnalités de village qui ont compris très tôt que l’ambition féminine devait être respectée. Celui d’Eric Andouard, ici présent, épousé en Californie, celui d’Isolde Clément-Bollée, notre fille –également ici présente- pleinement convertie au cosmopolitisme, ainsi que plus tard, selon les mouvements de la vie personnelle, le soutien indéfectible de Francis Benjamin, dont je porte maintenant le nom depuis vingt ans, et que je remercie ici de la patience qui l’a amené à tolérer les si nombreuses missions de recherche et activités syndicales renouvelées dont a pu être émaillée notre vie familiale. Je souhaite également remercier ici Maïté Andouard, de l’aide tant logistique qu’affective qu’elle m’a apportée pendant toutes ces années. Je remercierai ici également Paul Benjamin, mon beau-fils, de sa chaleureuse présence ici.

Une pensée amie et émue va également à mes compagnons de lutte syndicale, et bien au-delà de ce microcosme actif, qu’il soit local ou national, à tous ceux et celles que j’ai pu côtoyer, dont j’ai beaucoup appris, en dix ans de présence en tant qu’expert au Ministère et principalement au CNESER, avec qui j’ai échangé opinions contradictoires, ferraillé même, noirci des centaines de pages en évaluant de lourds dossiers, en essayant de ne jamais déroger aux principes clés de l’équité, de la probité et de la tolérance…

Mes remerciements ne seraient pas complets si je ne mentionnais ici le soutien indéfectible de mon université d’appartenance, tant au plan humain que financier, dans la mesure où mes demandes ont toujours été reçues avec bienveillance par l’exécutif de Bordeaux 3, ainsi que par les directeurs de départements, cela depuis mon arrivée à Michel de Montaigne en 1965. Je remercie certes dans le sillage, pour sa générosité, mon centre de recherche d’appartenance CLIMAS, en la personne de sa directrice actuelle le professeur Nathalie Jaëck, mais également à travers tous ses membres, dont nombre sont présents aujourd’hui. Je souhaite vivement rendre hommage à la solidarité et au sentiment d’amitié qui nous lie, au-delà des seules préoccupations scientifiques. C’est grâce à CLIMAS que j’ai pu bénéficier de tant de missions de recherche depuis plus de trente ans, grâce à la tolérance de notre université que je peux rejoindre régulièrement les séances d’expertises du Ministère, ….en avion et en taxi, certes souvent bardée de lourds documents !

Le dernier signe de sympathie ira plus globalement à la communauté tripartite de Bordeaux 3, aux étudiants que j’affectionne et dont certains sont présents dans cet auditoire attentif - à la centaine d’étudiants chercheurs dont j’ai encadré les travaux  au fil des années -, aux membres du personnel administratif que je remercie également de leur constance, disponibilité … au-delà quelquefois du raisonnable,  et de leur compétence sans faille, ….comme d’être nombreux à être ici présents parmi nous. Votre aide, vos conseils, votre amabilité et disponibilité resteront dans ma mémoire bien au-delà de 2014…..date à laquelle les plus de 50 ans de service seront, bien qu’à regret, pour moi définitivement clos !

J’aimerais avant de vous convier à boire le verre de l’amitié vous retracer sans j’espère vous lasser, le voyage de formation d’un des derniers enfants des Trente glorieuses encore en service, qui a épousé ses valeurs et ses idéaux, selon  une dynamique de réussite méritocratique promise par la République. Car le monde éducatif était à l’époque, encore enchanté et rempli de promesses, de réussite et de conquête, pour qui voulait s’en donner la peine.

Le mérite s’éprouvait par le franchissement successif d’obstacles de haies, épreuves nombreuses dont je donnerai ici, au bénéfice surtout de nos étudiants et chercheurs ou de mes homologues plus jeunes, quelques exemples vécus, dûment et durement expérimentés dans le corps et dans l’esprit : soit examens de passage obligatoires entre chaque niveau, …d’entrée en 6è à 10 ans, au certificat d’études avec épreuve de calcul mental, levée d’ardoises anxiogène en public à 12 ans, ….examen mémorable qui amenait aux aurores les écoliers nauséeux en autobus vers le chef lieu de département. Il fallait aller prouver la nécessaire maîtrise du parcours des fleuves français de leur berceau jusqu’à à la mer, attester de la connaissance des chefs lieux de canton, … non sans omettre dictée sans faute et grammaire impeccable.

Puis vient le brevet élémentaire l’année suivante, destiné à re-vérifier les connaissances acquises, ajoutant même d’autres vérifications d’aptitudes, notamment domestiques, cela uniquement pour les jeunes filles, …. Soit notre capacité à savoir faire un ourlet ou repasser un pantalon, pourtant à l’époque apanage des hommes….

Puis à 14 ans, sur la proposition du directeur d’école, concours d’entrée à l’Ecole normale de jeunes filles, à l’issue de la classe de ladite « 3è spéciale », un jalon ancien du parcours des boursiers certes aujour’hui oublié -, vers une école de la république non-mixte comme son nom l’indique, où il sera formellement interdit aux filles de la nation de porter pantalon ou maquillage….

A 16 ans et 17 ans, nouveau contrôle selon un diptyque première et deuxième partie du Bac, par lequel on vérifiait de nouveau, sur proposition du professeur, que nous méritions de passer le bac…. Il y eut ensuite la promesse d’entrée à l’université grâce à l’offre du concours des IPES, disparu aujourd’hui, lequel était une promesse d’emploi différée sur quatre ans, dans une république qui pariait sur le gagnant - gagnant. La première année d’université était couronnée par un examen de culture générale, propédeutique…. J’arrêterai là …Chacun comprendra que la méritocratie était alors un formidable donnant-donnant, une formule pour vous faire avancer.

Mais ceci était sourdement contredit par les mentalités, locales ….Car l’horizon normal à l’époque, pour les filles, ne pouvait être que le mariage, ….les constructions culturelles pesaient très fort dans leur avenir, alors que les garçons échappaient à ce destin social…. Il fallait donc se battre pour dépasser ces impératifs, pour devenir quelqu’un.

L’enfant des Trente glorieuses est aussi une enfant de l’après guerre, née en pleine zone de démarcation, sur le lieu de passage des Juifs fuyant vers l’Espagne que son père, enfant du pays auquel je souhaite rendre hommage aujourd’hui -, cachait dans les « barthes » - les bois marécageux de notre pays, pour les conduire vers la zone libre. Il semble que l’imprégnation profonde de l’atmosphère culturelle de l’après - guerre ait influencé mon parcours. Bien que porteuse de traumatismes, cette période noire a suscité également des espérances chez les enfants du baby boom, elle a mobilisé les énergies de la reconstruction, favorisant le terreau des réussites de ma génération.

Les terrains de jeu de cette époque ont été innocemment les cimetières juifs abandonnés. Les acteurs de mon enfance ont souvent été les rescapés de l’abomination nazie. L’un des souvenirs phares est celui de ces rescapés profondément mutilés qui s’en sont sortis, rassemblés toutes les semaines dans ma famille… Ils ont encouragé mon énergie, l’envie de vivre facilitée par les nouveaux idéaux d’une république renaissante, la fuite aussi peut-être vers des horizons nouveaux….

Nous savons tous qu’aujourd’hui les yeux se sont détournés des Etats-Unis, un pays qui était pourtant considéré dans les années 60 comme le laboratoire d’un nouveau monde moderne. En quelques mots, il me faut évoquer ici comment une enfant de Peyrehorade se trouva mêlée avec admiration et passion à la grande histoire qui était entrain de se faire outre Atlantique. Cette Amérique venue nous aider à la libération était très parlée dans ma campagne : trilogie chocolat, blues, et rock’n roll : c’est ainsi que l’exotisme est à Peyrehorade dans les années cinquante et sème le germe du désir de la découverte. Traverser l’Atlantique en 1969, en Caravelle, vers le  laboratoire de l’underground, de la contreculture, des alternatives, existentielles et politiques, est un projet que s’insinue dans ma vie comme il s’était insinué dans la vie du village grâce à un certain William Bartlett, mystérieux américain de l’après-guerre, mulâtre, premier voisin, tombé amoureux de la France et d’une Peyrehoradaise. Par amour, l’ancien soldat, le transfuge culturel devient artisan fabricant de sandales basques….

Mon rêve américain s’est incarné dans la Californie. J’ai eu la chance de devenir une disciple intellectuelle, bien que perplexe, d’Herbert Marcuse,  gourou philosophique de l’époque, inspirateur de Daniel Cohn - Bendit, auteur du légendaire Eros et civilisation, professeur à l’université UCSD, lequel n’hésita pas à m’avouer, lors de l’une de ses fréquentes parenthèses à la plage, accompagné de ses élèves favoris, qu’il avait lui-même a posteriori des difficultés à donner du sens à ses propres analyses….Il faisait référence à l’ouvrage vénéré en France dans les années 68, L’Homme unidimentionnel qu’il enseignait pourtant doctement à l’université, en plein air, parmi les eucalyptus, devant un auditoire énorme et festif.

Ainsi la grande chance de mon expérience américaine a-t-elle été de pouvoir rencontrer, fréquenter, tant dans le cénacle universitaire que dans la société civile, des personnalités aussi fascinantes que le sociologue Marshall Mc Luhan, la militante Angela Davis ou le syndicaliste César Chávez. Soi-dit en incise, les étudiants français qui avaient connu mai 68, quelle que soit leur appartenance idéologique, étaient devenus, en 1969, les mascottes de l‘Université de UCSD ainsi que du San Diego tribune, instrument de la presse locale francophile mais paternaliste….

Je souhaite associer ici cette période cruciale de ma vie, non sans émotion, respect et affection, à Jean Béranger – créateur de projets, directeur de centre novateur sinon visionnaire en recherches américaines. Car c’est ainsi, sous l’appellation de « patron », formule affective plus que gestionnaire, qu’on appelait à l’époque nos maîtres à penser, directeurs de recherche, mentors. Vous ne m’en voudrez pas je l’espère, de n’avoir pas voulu caviarder cette partie de ma vie où étaient encore vivantes et vivaces des notions qui m’ont construite.

L’enfant du village natal sera à nouveau ici évoquée une dernière fois…. Les noms que j’avais vus sur les plaques des tombes juives abandonnées dans les cimetières, ces noms se sont incarnés pour la première fois, de manière vivante, dans l’univers de la haute culture, à travers les noms des professeurs, chercheurs, étudiants, écrivains comme Saul Bellow rencontrés aux Etats-Unis, comme pour me faire passer du monde meurtri de l’Europe, de mon village encore sinistré, aux horizons vivifiants de la vie californienne.

Monde ouvert des cultures au sens anthropologique, qui m’a amené à découvrir une civilisation passionnante sur laquelle je reste encore penchée, en tant qu’universitaire revenue en Europe. De frontière en frontière, la frontière décidément a marqué ma vie, car de la frontière hispano-française des origines, en franchissant l’Atlantique, je me suis retrouvée sur le fleuve transfrontalier du Rio Grande, devenue passeuse de frontières culturelles et sociales. Ainsi le paradigme de la frontière a-t-il été le moteur de mon parcours.

Je sais gré à toutes celles et ceux qui réunis ici, par leur affection, leur camaraderie, une écoute généreuse et de judicieux conseils, m’ont accompagnée activement dans ces multiples franchissements.

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Elyette Benjamin-Labarthe

 

Commandeur des Palmes académiques

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Photos: cliquer sur les liens ci-dessous

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